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Le livre en noir

25 mars 2006

Intermède.

Ma réponse à un premier commentaire intelligent sur ce blog :

des conseils, bon
Je vais vous parler franchement, vous allez me détester mais vous aurez tort, parce qu'il faut bien vous aider, et la franchise peut seule le faire.

Allez, j'y vais

la lecture de vos textes est rendue difficile, voire insupportable (si,si) par le mauvais emploi des temps du récit (le passé simple est strictement inadapté aux scène d'angoisse, par exemple. Si vous voulez faire monter un suspense, employez plutôt, de préférence, l'imparfait ou mieux le présent).

Vos fautes d'ortographe sont inexcusables, même pour un écrivain "en herbe" :

heures de conduite qu'il avait accumulé

"es" !

étincellants

un seul "l" !!

noirçis

enfin, le "c" devant i ou e ne prend PAS de cédille !

mais le pire, c'est la sur accumulation, l'utilisation systématique de "clichés". Croyez vraiment à ces "puissants coups de tonnerre qui font trembler les maisons" (!? Vous avez déjà vu ça, vous ?) "ces éclats de verre qui éclatent au sol en fragments éticelants", enfin, il n'y a pas une seule phrase qui ne soit emphatique, exagérée, pleine d'expressions toutes faites et de lieux communs.

Je crois que vous avez des "visions" toutes personnelles, intéressantes, que vous avez envie de traduire en mots. Votre initiative est louable, et je vous encourage à persévérer. Néanmoins, il vous faut ABSOLUMENT :

- lire au moins un livre par jour, et un livre digne de ce nom, n'est-ce pas. Pas du Coelho ou des bouquins de SF. Plongez-vous hardiment dans la littérature française du 19è siècle : tout vient de là, finalement, et vous pouvez lire sans trop de difficulté Zola, Maupassant, Stendhal, voire Balzac. Et surtout Hugo !
- apprendre l'orthographe. Que diriez-vous d'un garagiste qui confondrait un tournevis et une clé à molette, d'un cuisinier confondant les carottes et les pommes de terre ? La moindre des politesses vis-à-vis de vos éventuels lecteurs, c'est de vous corriger. Il existe des programmes informatiques pour cela, et je suis sûre que, dans votre entourage, une vieille dame ou un vieux monsieur pourrait vous rendre ce service !
- essayez systématiquement de trouver des "mots à vous", pour traduire vos émotions. Ne vous lancez pas dans les phrases toutes faites ! Au besoin, décrivez minutieusement les phénomènes physiques, sans aucun adjectif qualificatif. Si vous tremblez, mieux vaut écrire "ma peau se contracte et mes poils se hérissent" plutôt que "je devins vert de peur"
- tenez bon et continuez d'écrire !

Tout d'abord, j'ai bondi de ma chaise en proférant pas mal de noms d'oiseaux, puis j'ai relu tout ça attentivement. Et je pense que d'autres peuvent penser les mêmes choses. Il est donc temps que je mette tout ça au point, et non pas démontrer par l'inverse que je cherche à avoir raison contre tout le monde, mais que tout ce qui hérisse cette personne, c'est tout simplement ma façon d'écrire.

Tout d'abord, concernant l'emploi des temps du récit. Je refuse de respecter les règles que mes profs m'ont inculqués de force dans ma jeunesse. Je préfère décider par moi-même quel temps je vais utiliser, pour une scène ou une autre. Dites-vous bien que les quelques textes que vous trouverez içi ne sont que la partie émergée de l'iceberg, et qu'on ne peut pas juger sur si peu d'éléments. Je suis l'heureux père de trois longs romans, de deux recueils de nouvelles, le quatrième bouquin est en cours d'élaboration, et je ne compte plus tout les projets que j'ai avortés. Ca fait pas loin de quinze ans que j'écris, et j'ai bien contribué à la déforestation avec tout le papier que j'ai bouffé. Les temps du récit, j'utilise très couramment le passé simple, je passe souvent au présent, justement pour des scènes d'angoisse, et parfois même au futur, tout cela dans le but de créer des effets quand je juge que ça aura un impact. Içi, ça n'apparait pas, mais soyez-sûre que je sais les utiliser, je crois, à bon escient. Mais c'est à moi et moi seul de décider quand et comment. Après, on aime ou on aime pas, et je conçois très bien que cela puisse dérouter.

Au sujet des fautes, mea culpa. C'est vrai que j'en fais à la pelle, et j'ai pas toujours le temps et l'envie de me corriger. Ca pourrait être pire, allez faire un tour sur les autres blogs, vous verrez...

Les "clichés"... on attaque là un sujet épineux. Oui, j'en use et en abuse. Oui, je les accumule. Oui, je préfère dire que "les éclats de verre se brisent au sol en fragments scintillants" plutot que tout simplement "le verre tombe et se casse". Et le pire, c'est que j'aime ça. Je trouve que c'est plus joli. J'aime bien. Je kiffe. Si vous trouvez que tout ça c'est vraiment des clichés et des lieux communs, indiquez-moi où vous les avez déjà lus, parce que ça veut dire que d'autres écrivains font comme moi, et je vais aimer leurs bouquins. Je sais faire des phrases simples. Quand une scène doit avancer vite, je fais des phrases simples. Quand je veux installer une ambiance, j'y vais avec tout mon arsenal. Puisque c'est "la femme de sa mort que vous commentez, je suppose que vous avez dû voir que l'histoire entière n'est qu'une gigantesque succession d'ambiances. J'ai voulu écrire une histoire d'amour triste, et je juge en mon âme et conscience que tout ces "clichés" sont nécessaires. Encore une fois, on aime ou on aime pas. Il est possible aussi que je m'emballe un peu trop, je le reconnais.

Pour les conseils, lire beaucoup, c'était pas la peine de me le dire. Quand j'étais ado, je passais mon temps libre à la bibliothèque au lieu de courir derrière les filles, et ça m'a fait rater pas mal de choses. Les auteurs classiques, ça me gonfle. On se glorifie de les avoir dans notre pays, on se gargarise de leurs oeuvres, et finalement, on reste bloqués vers cet héritage. Moi j'aime pas. Quand quelqu'un veut faire quelque chose de différent, on crie alors au scandale. Tout vient de là, certes, et même s'ils écrivent mieux que je ne le ferai jamais, je trouve ça chiant. Je préfère mille fois lire un bouquin de science-fiction un peu hésitant, mais imaginatif, qu'un long roman fleuve classique. Mes maitres, ce ne sont pas Zola ou Hugo, c'est Stephen King, Tolkien et Bernard Werber. Les deux premiers, ils accumulent aussi les "clichés" et les longues phrases avec tout plein de mots inutiles, mais qui font leur effet. Très sincèrement, j'ai des références personnelles, des goûts à moi, et je ne peux pas en sortir. Je ne serais jamais du calibre des grands auteurs classiques. Je serais peut-être toute ma vie un auteur de roman de gare (tiens, encore un cliché), mais au moins, j'aurais écrit ce que j'aime, à ma manière. Je reste honnête avec moi-même.
Pour l'orthographe, voir plus haut.
Pour trouver "mes mots à moi", lisez entre les lignes, vous verrez où je veux en venir. Quand j'écris, je sais exactement quel effet je veux donner. Mais il n'est pas toujours aisé de me suivre. Encore une fois, on aime ou on n'aime pas.

Pour résumer, n'oubliez jamais que tout ce que vous lirez içi n'est qu'une toute petite part de mon travail, et je le reconnais, pas la meilleure. Ces petits textes sont plus des entrainements pour mes plus gros travaux que du véritable ouvrage. C'est plus quelques griffonages de peintre que la Joconde. Quand je les recopie sur le blog, je me dis souvent "houla, t'étais pas en forme quand t'as écrit ça". Vous me direz alors pourquoi je ne les arrange pas ? C'est justement ça l'interêt. Si des lecteurs apprécient ces textes sur lesquels j'ai passé peu de temps, je suppose qu'ils adoreront mes "vrais" travaux. Si les lecteurs n'aiment pas, soit ils n'aimeront jamais tout ce que je peux faire, soit ils seront agréablement surpris. Mais quelles que soient les circonstances, j'écrirais toujours comme je l'entends. Je ne peux pas faire autrement, c'est en moi. Un guitariste de heavy-métal ne peut pas jouer du bal musette. Moi c'est pareil.
Après, j'accepte les critiques, bonnes ou mauvaises, même celles qui pouraient m'énerver. Parfois, je me rends compte que c'est bien vu, parfois je me défends bec et ongle, mais je les garde dans un coin de ma tête, comme aujourd'hui. Essayons, si vous le voulez bien, d'aller un peu plus loin, laissez-moi vous emmener avec mon style et mes "clichés" dans d'autres histoires, d'autres ambiances. Et après, on verra ce qu'on peut faire, mais je crois qu'il est encore un peu tôt pour m'enterrer.

Voiçi un petit résumé de ce qui vous attend :
Cirque, en cours d'écriture. Un drôle de texte un peu barré. Il n'y a pas de message caché, pas de morale, pas de critique de la société. Juste un petit délire.
Homo mortis : une histoire de morts-vivants. Pas terrible si vous voulez mon avis.
Machines diaboliques : une histoire d'horreur digne des gros nanards américains.
La confession noire : encore un petit délire, une curiosité.
Sur le toit : une histoire contemporaine et réaliste, sans monstres ni fantômes. Mais rien de transcendant, et pourtant, c'est l'une de celle qui s'accordera le plus au goûts du grand public.
Boucherie & Les façons de tuer : deux textes absolument monstrueux et limite à censurer.
Le fou : hum, passons.
La vierge et le puceau : une histoire porno, carrément, bien pleine de "clichés".
Les voleurs de corps : une histoire d'horreur, encore une.
Finir de vivre : euh... disons de la poésie ? En ayant l'esprit large...
Le grand jeu : typique de mes goüts, une histoire fantastique ( le genre, pas le qualificatif)

Bref, des nouvelles sur lesquelles je suis moi-même très critique, mais qui ont au moins le mérite de fixer un peu les limites de mon style et de mon imaginaire. Donc, encore et pour la dernière fois, on aime ou on n'aime pas. Si vous aimez, suivez-moi hors de ce blog, où vous aurez de bien meilleures histoires, sur lesquelles je travaille depuis de longues années. Si vous n'aimez pas, fuyez-moi, car je vais vous ennuyer pendant longtemps.

Bref, merci pour ce commentaire et vos conseils, même si je ne vais pas forcément les suivre. J'en attends d'autres, le plus possible. Pas pour améliorer les histoires qu'il y a içi, mais les autres, celles que je garde précieusement sur un coin de mon bureau. Pour finir, une petite mise au point. Je ne suis pas un Ecrivain, même si c'est plus facile pour me définir. Non, je raconte des histoires, à ma manière, et je le fais honnêtement, ce qui signifie que je ne cherche pas à plaire au plus grand nombre ou à me faire passer pour ce que je ne suis pas.

Cordialement,

Mellyann.


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22 mars 2006

Cirque

Comme l'année dernière, comme l'année d'avant, comme tout les ans, le cirque revenait au village, coloré, musical, joyeux. Le crotège défilait dans les rues, avec en tête la voiture haut-parleur ameutant les bonnes gens.
    - Venez, venez tous ! faisait une voix nasillarde distordue par le volume poussé à fond. Ce soir, représentation unique et exceptionelle ! Des numéros époustouflants ! INCROYABLES ! FORMIDABLES ! Les clowns farceurs ! Les dompteurs et leurs animaux féroces ! Les frères Abracadabra ! Venez NOMBREUX !
Dans le sillage de la voiture venaient les jongleurs en habits de paillettes, puis les clowns faisant mille cabrioles, et puis les chameaux, les dromadaires, les éléphants et les panthères. A la suite venaient des acrobates à la silhouette longilihne musclée, marchant sur les mains, et un grand ours brun en tutu rose qui dansait sous la baguette du dresseur.
Sur les trottoirs, parents et enfants riaient et battaient des mains. Des garçons de cirque passaient parmi eux et distribuaient généreusement des sucettes bourrées de LSD. Des ballons rouges et jaunes étaient lachés en l'air et éclataient très tôt, laissant échapper des nuées de gaz neurotoxique inodore. La musique riche en flons-flons et tralalaboumboum diffusait en permanence à un niveau très faible des messages subliminaux qui sapaient toute volonté et libre-arbitre. Monsieur Loyal s'égosillait dans le haut-parleur réglé sur une fréquence hypnotique.
    - Venez tous ce soir ! Venez tous au Cirque Méphisto ! Le grand cirque de l'épouvante ! Numéros mortels !
Tout l'après-midi, le cirque monta son chapiteau sur la place du village, avec la compagnie de curieux impatients et excités. Ils applaudirent quand l'enseigne du cirque fut dépliée à l'entrée.

a suivre...

18 mars 2006

Cannibale

Les camions de l'élevage arrivèrent vers quatre heures du matin au pont de déchargement de l'usine Drantino : la viande qu'il vous faut. Dans l'air frais de l'aube bleutée, on entendait le bétail gémir et cogner contre les parois des remorques à coups de poings.

Une fois les portes des remorques ouvertes, le bétail fut conduit à l'intérieur de l'abattoir où une escouade d'équarisseurs les tuèrent. C'était rapide et propre : une décharge électrique en pleine tête. Chaque bête tuée était placée sur un tapis roulant l'emmenant dans les profondeurs de l'usine, et immédiatement remplacée par une autre bête. L'élevage était bon cette année et il fallut une bonne heure pour abattre tout le cheptel. De belles bêtes, bien grasses, élevées en plein air et nourries avec les meilleures farines. Pas de ces bêtes élevées en batterie qui n'avaient pas de place pour s'ébattre et se reproduire correctement.

Au bout du tapis roulant, on déshabillait les corps et on brûlait les poils et les cheveux, avant de retirer d'un bon coup de tronçonneuse tout ce qui n'était pas utile : les pieds et les mains, trop pleins d'os, les sexes des mâles, finalement trop petits, et les têtes aussi, car les consommateurs détestaient ça. Rien ne devait se perdre, aussi tout ces déchets étaient envoyés aux fours crématoires où ils seraient transformés en farines revendues aux éleveurs.

Dans la salle suivante, les bouchers tout de blanc vétus éventraient les bêtes pour en retirer les coeurs, les foies et les reins, puis de gros tuyaux aspirateurs avalaient toutes les viscères tremblotantes. Il fallait ensuite retourner le corps sur le ventre, découper les bords de l'anus au couteau, puis retirer la peau. Celle-çi serait vendue à des usines de traitement du cuir, mais l'an prochain, il était prévu d'en faire des grattons, comme avec la peau des canards, et des rouleaux de couenne. Certaines industries d'outre-Rhin, fortes de leur expérience acquise durant la guerre, en achetaient parfois de grandes quantités pour en faire du savon.

Après un passage sous des jets d'eau pour faire partir le sang et les excréments échappés des entrailles, les carcasses étaient envoyées dans la salle de découpe, où d'autres bouchers les faisaient passer et repasser sur de grandes scies circulaires. Le bruit des os sciés était assourdissant, sifflant, et malgré l'aération, l'odeur du sang était entétante. Des rigoles étaient creusées dans les tables pour le recueillir et le faire couler dans de grandes bassines en inox. On en ferait le meilleur boudin qui soit.

Quand tout les membres étaient séparés du tronc et tranchés au genoux et au coudes, il fallait encore scier la carcasse en quatre : cage thoracique, reins, épaules. Et puis tout cela était envoyé dans la salle suivante pour un découpage plus fin. Des ouvriers armés de longs couteaux et de gants en cottes de maille découpaient avec dextérité toute cette viande, enlevaient les plus gros nerfs et les veines, séparaient les côtelettes, tranchaient les cuisses charnues et les gros bras pour en retirer steaks et rôtis, bavettes et tournedos. Après cela, il n'était plus possible de distinguer ces pièces de chair de morceaux de boeuf ou de porc. Les pièces de basse qualité étaient hachés pour en faire des steaks surgelés ou de la chair à saucisse. Pendant ce temps, ailleurs, les intestins étaient lavés plusieurs fois, coupés en lamelle, relavés, et cuisinés en tripes à la mode de Caen. Les meilleures, car le mot d'ordre de la boucherie-charcuterie industrielle Drantino était : Qualité certifiée.

Il ne restait plus qu'à emballer la viande sous cellophane, la peser, l'étiquetter, y apposer les sceaux des services vétérinaires. Au bout de la chaîne, on chargeait des camions frigorifiques qui partiraient distribuer la marchandise dans tous les supermarchés du pays, tandis que de l'autre coté de l'usine, de nouveaux camions arrivaient, plein de nouveau bétail à dépecer. Organisation sans faille. Aucun temps perdu. Le commerce de la viande.

Madame Germaine appela son mari qui s'attardait au rayon des conserves.
    - Regarde René ! Y'a des promotions sur la Drantino !
    - Ben prends-en, c'est la meilleure viande que j'ai jamais mangé. Je me demande d'où ils sortent des bêtes aussi bonnes...

18 mars 2006

War

Boucler les cartouchières
Aiguiser les baïonettes
Remonter les chargeurs
Régler les viseurs
Graisser les gâchettes
Revêtir les treillis
Charger les obusiers
Éviter d'avoir peur
Saluer le drapeau
Chanter encore l'hymne
Regarder ses camarades
Deviner qui va mourir
Garder le moral
Motiver les troupes
Monter dans les camions
Et partir au combat

Mes mains sont sales
Encore toutes rouges de cette bataille
Où j'ai donné la mort plus vite que les vies ne naissent
L'adrénaline enflamme encore mes veines
Il a bien fallu ouvrir le feu
Quand ceux d'en face ont envahis les lieux
Au nom d'idéaux aussi creux que vides de sens
La liberté vaut-elle donc un tel prix ?

Tenir les lignes
Éliminer les espions
Débusquer les traîtres
Fortifier le front
Tirer à vue
Éviter les balles
Poser des mines
Diriger les blindés
Charger en hurlant
Abattre les premiers
Sortir le couteau
Achever les derniers
Surtout ne pas regarder
Les yeux du condamné
Obéir et frapper
Obéir et crever

Je suis devenu sourd
A force d'entendre les cris des veuves
Et de tous les enfants que j'ai rendu orphelins
Moi qui ne voulais que me défendre
Mes rares rêves sont remplis d'âmes en peine
Et du souvenir de toutes mes victimes
Morts au champ d'honneur tout ça c'est des conneries
La liberté vaut-elle donc un tel prix ?

16 mars 2006

Raté... suite et fin

Il faisait nuit noire maintenant. Les nuages cachaient la lune et les étoiles. Les seules étoiles sont içi, pensa Francis, dans la lumière des boutiques.
Il n'y avait plus grand monde sur le trottoir. Des grilles de fer protégeaient la plupart des vitrines. dedans, tout était éteint, plus rien ne brillait. Un bus passa en vrombissant et en empuantissant l'air de monoxyde de carbone. Ça faisait tourner la tête le monoxyde. Comme la came.
On lui avait dit pas de came avant un coup
Les mains dans les poches, il remontait le trottoir. Il sentait le poids du pistolet dans sa poche, semblant devenir de plus en plus lourd. Avait-il mis le cran de sureté ? Oui. Ce serait bête que le coup parte tout seul et qu'il se mette la balle dans le pied. Il arriva au niveau de la librairie. Des livres, dont peu de nouveautés, trônaient dans la vitrine sale. La porte de verre était fermée, il le savait. Monsieur Ollier fermait toujours à vingt heures pile. Après, il faisait ses comptes jusqu'à tard dans la nuit.
On sait où le vieux cache son pognon
Quand il avait cinq ans, sa mère l'avait amené içi. Elle lui avait acheté un livre d'images plein de lapins. Monsieur Ollier s'était penché sur lui pour lui ébouriffer amicalement les cheveux. Tu reviendras me voir ? Avait-il demandé. francis avait souri à ce gentil monsieur. Le seul et unique homme au monde à avoir jamais été gentil avec lui. Il s'était dit que oui, bien sûr, il reviendrait.
ça se fera ce soir, à vingt-deux heures
Il n'y était jamais revenu, finalement. Ses potes se foutaient de sa gueule quand il avait un livre dans les mains. A l'intérieur, il pouvait maintenant voir monsieur Ollier, semblant aussi vieux que Merlin l'enchanteur, penché sur le bureau qui lui servait aussi de comptoir, inscrivant méticuleusement sur son registre les ventes de la journée, chaque jour plus maigres.
Ce fric, on en fera quoi ?
J'sais pas, on prendra notre pied
Francis sentit sa gorge se serrer, ses yeux se mouiller.
    - Papa ? Murmura t'il.
T'es avec ou contre nous
Faites pas les cons, ils sont chargés
Du fin fond de son âme, il entendit une berceuse venant d'une des boites à musique que monsieur Ollier collectionnait sur une étagère, derrière le bureau.
Tu reviendras me voir ?
J'vais me géner, tiens !
Ka-blam ! La tête d'un lapin qui explose.
Ka-blam ! Une boite à musique qui rend sa dernière note.
Ka-blam ! Monsieur Ollier qui tombe sur son registre taché de sang.
J'VAIS ME GÊNER TIENS ! J'VAIS LE FLINGUER ET J'VAIS PRENDRE MON PIED ! OUAAIIS ! YAHOUUU !!! J'VAIS ME GÊNER TIENS !!!
Le pluie ruisselait sur son visage, refroidissant des larmes brûlantes. Monsieur Ollier releva la tête de son registre, le regarda un instant, et par-delà toutes ces années, le reconnut. Il leva la main et le salua en souriant.
    - NOOON ! Hurla Francis. NON ! NON ! NOOOOOOOONNN !!!
Il s'enfuit en courant. Ses chaussures imprimaient des traces de semelles sur le trottoir détrempé.
Il pleurait. Il avait froid.

Il était vingt-deux heures. Le ciel s'était un peu dégagé et les étoiles se laissaient un peu apercevoir par les déchirures des nuages. L'Oeuf se tenait accroupi près du poste de transformation au bout de la rue. D'une grosse pince coupante, il trancha tout les câbles, qui claquèrent les uns après les autres avec des gerbes d'étincelles. Aussitôt, la rue fut plongée dans les ténèbres. L'Oeuf trouva cela si drôle dans son esprit embrumé de junkie qu'il éclata de rire en se roulant par terre. Il heurta dans sa galipette une paire de jambes.
    - Que ? Fit-il en regardant à qui elles appartenaient. C'est toi le Clou ?
    - Ouais, c'est moi.
KA-BLAM
l'Oeuf retomba par terre, un trou rouge au milieu du front.

La Trique se tenait à l'entrée de la librairie, tapant du pied pour se réchauffer. Grand Joe était déjà dedans, tenant Ollier sous la menace de son arme. Il vit une silhouette venir vers lui.
    - Le Clou ?
    - Ouais.
    - Qu'est ce que tu branlais ? T'es à la bourre !
    - Je sais.
KA-BLAM
La balle entra proprement au niveau du plexus solaire de la Trique qui fut projeté sur la vitrine, contre laquelle il rebondit avant d'aller rouler sur le trottoir.

    - Magne-toi d'ouvrir ! Hurla Grand Joe, debout à coté du vieillard accroupi près d'un petit coffre encastré dans le mur.
    - Ne... ne tirez pas s'il vous plaît, murmura Ollier en faisant la combinaison avec des doigts tremblants.
    - T'as dix secondes, pigé ?
Il jeta un coup d'oeil inquiet vers la vitrine. Quelque chose ne tournait pas rond. Le Clou qui n'était pas venu, puis un coup de feu... Et la Trique ne montait plus la garde.
    - Bouge-toi le vieux !
Pour donner plus de poids à ses paroles, il appuya le canon de son revolver derrière l'oreille d'Ollier qui ferma les yeux te trembla à ce contact. Puis le carillon de la porte tinta. Grand Joe vit quelqu'un venir vers lui dans la pénombre. Il n'eut aucun mal à reconnaître la frêle silhouette de Francis.
    - Le Clou ! Putain, qu'est ce que tu fous là ?
Au loin, il entendit les sirènes des voitures de police, et il se douta que c'était peut-être Francis qui les avait appellés.
    - Ce que je fous là ? Dit le Clou. Je viens prendre mon pied.
Il lève son arme. Grand Joe frémit.
    - Tu vas pas tirer sur moi ?
    - J'vais me géner, tiens...
Déjà, les phalanges de son index blanchissent. Grand Joe, plus rapide et vif qu'un serpent en chasse, se jette à terre. Francis rectifie aussitôt sa visée et tire trois fois de suite, et il appuie encore sur la détente alors que la barillet est vide. Avec le regard d'un fou, il crie des menaces retentissantes. Grand Joe vise Francis. Dehors, deux voitures de police se garent en couinant et leurs gyrophares bleus balaient la pièce.
Francis se rue sur Grand Joe pour le désarmer. Deux coups résonnent. La première balle se fraie un chemin pour aller se ficher dans le coeur de Francis. La seconde l'atteint à l'épaule droite et le fait tourner sur lui-même comme une toupie démente, et il s'écroule à l'instant où les policiers investissent la pièce, trop tard...
Monsieur Ollier est sauf.
Jamais plus Francis ne reviendra le voir, lui, le père qu'il n'a jamais eu.
Grand Joe n'est pas mort, et jamais Francis ne se vengera. Grand Joe qui a ruiné sa vie après avoir damné son âme.
Francis est seul, très seul... et il ferme les yeux.

NdA : J'ai écrit cette nouvelle à dix-sept ans, et j'ai eu l'honneur de la voir finaliste à un concours organisé par l'AMOPA, Association des Membres de l'Ordre de la Palme Académique

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14 mars 2006

Raté... suite.

    - Parfait. Ça se fera ce soir, à vingt deux heures. le vieux ferme sa boite à vingt heures et fait ses comptes jusqu'à tard dans la nuit. l'Oeuf se débrouillera pour bousiller le transfo et couper le jus du quartier. dans le noir, on sera tranquille. Pas d'alarme, pas de témoins. La Trique et moi, on ira chercher le pognon.
    - Et moi, je fais quoi ?
    - Tu surveilles. T'es devant la porte, tu surveilles et c'est tout. Y'a peu de risques que les flics se pointent vite.
    - Et les autres ? Les promeneurs ? Les piétons ?
    - Y'aura personne à cette heure. T'as vu le quartier ?
    - Et si Ollier se défend ? La plupart des commerçants du quartier sont armés, tu sais ?
    - Sans blague ? J'ai prévu le coup dis-toi.
Il baissa un peu la fermeture de son blouson et en tira un lourd sac en papier qu'il posa à terre. Il l'ouvrit et en sortit, précautionneusement, quatre pistolets. Les battements du coeur de Francis s'accélérèrent.
    - Ils sont à mes potes, dit Grand Joe en distribuant les armes. Faites pas les cons, ils sont chargés.
Francis soupesa son pistolet. Il sentit la froideur du métal, regarda la lumière des lampadaires accrocher des lueurs de braise sur le canon. Ses pensées étaient mélées de crainte et de fascination. Il n'y connaissait pas grand-chose en armes à feu, les seules qu'il avait eu entre les mains étaient les carabines de la fête foraine et un pistolet à air comprimé avec lequel il s'amusait à descendre les rats. Ce flingue pouvait être un .38 ou un magnum 44, pour lui, ça revenait au même. Il savait qu'il y avait au moins six balles dans le barillet, et que ça suffisait à refroidir définitivement n'importe qui. Il leva l'arme en l'air, visa la carcasse rouillée de la voiture au milieu de la cour. Il s'imaginant tirant. Le chien percutant la balle. La fumée jaillissant en vrille du canon. Une gerbe d'étincelles bleues et blanches, filant en sifflant et en perforant, en déchirant, arrachant la tôle de la voiture... ou se creusant un chemin sanglant dans un corps humain, tandis qu'un bruit de tonnerre emplissait la ville.
Il pressa la détente.

KA-BLAM

Une portière vola en l'air avant de retomber en sonnant creux, un trou gros comme le poing en plein milieu. La Trique abaissa le bras du Clou.
    - T'es malade ! Cria t'il en postillonnant. Tu veux réveiller tout le quartier ?
Le Clou cacha le pistolet dans sa poche.
    - J'voulais juste l'essayer.
    - Garde tes bastos pour le vieux !
    - C'est bon vous deux, dit Grand Joe. Fermez-la un peu.
    - Un peu... répéta l'Oeuf.
    - Tu crois qu'il est en état ? Demanda la Trique en désignant l'Oeuf. Il sort jamais de ses trips. je sais pas si c'est prudent de lui filer un gun.
    - Ça ira. De toute façons, il aura sûrement pas besoin de s'en servir.
Ils restèrent un moment sans parler, tandis que la cour de l'immeuble s'emplissait d'ombres, glissantes sur le sol comme des spectres sortis tout droit du royaume des ténèbres. Francis se leva et fit quelques pas.
    - Où tu vas ? Fit Grand Joe.
    - J'sais pas.
    - On va aller voir mes potes, tu viens ?
    - Non, je vais aller faire un tour.
Il fit encore quelques pas, puis se retourna.
    - Grand Joe ?
    - Quoi ?
    - Ce fric, on en fera quoi ?
Grand Joe lui jeta un drôle de regard où se lisaient l'étonnement, la méfiance et la perplexité.
    - Ben, j'sais pas. On prendra notre pied.
    - Et le vieux, tu vas le descendre ?
Grand Joe ricana tout en tirant sur son mégot.
    - J'vais me gêner, tiens...
Le Clou resta là un moment à les observer. Puis il se hâta de quitter la cour et de rejoindre l'avenue. Les derniers mots de Grand Joe résonnaient dans sa tête et s'inscrivaient dans son cerveau en lettres incandescentes : j'vais me gêner tiens.

à suivre

13 mars 2006

Raté... suite

Dehors, la pluie avait fait place à un mélange mi-bruine mi-crachin, qui se déposait sur les vêtements et laissait, lorsque l'on y passait le doigt, une trainée sombre, vraiment mouillée. Le Clou remonta son col et posa, à l'envers sur son crâne rasé, une casquette élimée d'une de ces équipes de basket-ball américaines dont les joueurs sont idolatrés.
marchant sans précautions pour éviter les flaques et tapant par moment dans une canette vide, il remonta la ruelle pour regagner l'avenue qu'il appelait le "Grand Paradis". Le seul endroit du quartier où le trafic était permanent, où les poubelles étaient ramassées et non pas brulées, où il y avait des boutiques.
Semblables à des diamants ambrés dans la nuit, elles brillaient et attiraient les gens pauvres comme des insectes. Dehors, il faisait froid et humide, dedans chaud et sec. Dehors c'était gris et triste, dedans lumineux et beau. Francis ne se souvenait plus le nombre de fois où, gamin, il avait passé des heures collé aux vitrines, le nez enchifrené et les doigts engourdis, regardant avec de grands yeux toutes ces choses à l'intérieur, si brillantes, comme un sapin de noël, comme un petit chiot, ou une flamme au coeur d'un bloc de glace, qui vous réchauffe le coeur et vous tire pour quelques instants de la zone et de sa tristesse. A l'époque, Francis pensait que c'était ça le paradis. Mais aujourd'hui, il savait que le paradis n'existait que pour ceux qui se défonçaient à l'héro, comme l'Oeuf ou la Piquouse, deux de ses potes. Arrivé au bout de l'avenue, il s'éloigna du centre, en prenant par une ruelle crasseuse débouchant dans une cour au sol défoncé, au milieu de laquelle une vieille voiture pourrissait lentement.
Un sifflement résonna. Le Clou se retourna, vit sa bande assise sur des caisses sous un abri branlant de tôles ondulées. Il y avait l'Oeuf, le teint cireux et les yeux gonflés, crâne chauve et luisant parcouru de frissons spasmodiques. A coté, Grand Joe, bâti en tueur, avec de longs cheveux qui tombaient en mèches graisseuses sur ses épaules, et enfin la Trique, célèbre pour ses aventures sexuelles ratées avant même d'avoir commencé. Les mains furent sérrées, les saluts échangés.
    - Où est la Piquouse ? Demanda le Clou en s'asseyant sur une caisse moisie.
Grand Joe tira une latte sur son joint mal roulé. Dans l'obscurité, le bout rouge brillait comme l'oeil d'un serpent.
    - Les poulets l'ont pécho ce matin. Il est en taule.
    - Il était shooté ?
    - Pas encore, mais avec un demi-kilo de teush sur lui...
    - Merde...
    - Tant pis pour sa gueule, dit la Trique. On lui avait dit pas de came avant un coup.
    - Avant un coup, répéta l'Oeuf en frissonnant.
    - Un coup ? Fit le Clou. Quel coup ?
    - C'est pour qu'on t'en parle que je t'ai fait venir, dit Grand Joe. On a prévu un casse dans la boutique du vieux Ollier.
    - La librairie ?
    - Pour moi, une boutique, c'est une boutique. Surtout que dans celle-là, on sait où le vieux cache sa maille.
Francis revit le vieux Ollier, avec sa démarche claudicante et ses petites lunettes, au milieu de ses livres poussiéreux.
    - Tu crois qu'il en a du pognon ?
    - Bien sûr, pauvre con. Tu marches avec nous ?
Le Clou serra son blouson plus étroitement. Il avait froid, subitement.
    - J'suis pas sûr. Je le sens pas bien...
Grand Joe se pencha en avant. Le bois de la caisse craqua et grinça sous l'énorme masse de muscles en mouvement. Il regarda Francis droit dans les yeux, intensément.
    - On te demande pas de sentir, on te demande si tu marches avec nous ou pas. Si oui, tant mieux. Si non, t'as du souci à te faire.
    - Ouais, ajouta la Trique. T'es avec ou contre nous ?
    - Contre nous... répéta l'Oeuf, les yeux rouges comme un steak cru.
Le Clou observa le demi cercle de regards qui le jugeait. Des regards méfiants.
    - C'est bon, je marche.
Grand Joe se détendit.

à suivre

12 mars 2006

Raté...

RATE...

La pluie d'octobre, froide et grise comme le ciel, se laissait mollement tomber sur la ville, silencieuse, sombre. Les rares passants semblaient comme morts, leurs vêtements comme décolorés. Les lumières s'allumaient une par une, se reflétant sur la macadam aussi luisant que le ventre d'un poisson. les voitures passaient en chassant sous leurs pneus des gerbes d'eau. Le soleil, occulté par une lourde brume, s'approchait de l'horizon. Là, le ciel nuageux ressemblait à une couverture de laine sale froissée, échevelée. Des trainées de vapeur silencieuse s'échappaient des bouches d'égouts où toute la crasse de la rue disparaissait, emportée par le torrent triste des larmes du ciel. Un rat crevé flottait dans une flaque, un chien pelé fouillait dans une poubelle renversée. Sur le mur de l'un des innombrables immeubles du quartier, quelqu'un avait gribouillée : " je me suis envoyé Marie, Lucie, Gilberte et Cathy." Au-dessous, quelqu'un d'autre avait écrit : " frimeur."

Les yeux mi-clos, Francis, que tout ses potes appellaient Le Clou, s'éfforçait de lire le journal à la faible clarté filtrant au travers de la fenêtre sale. Un carreau était cassé, on l'avait sommairement réparé avec du scotch.

Il avait seize ans, avait quitté l'école depuis deux mois, et passait son temps depuis en s'acoquinant avec les voyous du quartier. D'une maigreur extrème qui expliquait son surnom, il avait toujours l'air malade, mais il ne fallait pas s'y fier. Il était vif et nerveux, aussi prompt à encaisser les coups qu'à les donner.

A la télé, les infos avaient cédé la place aux spots publicitaires, si criards qu'ils en étaient agressifs. Anne, sa mère, regardait d'un oeil éteint cette avalanche d'images en songeant que ces illusions de rêves seraient encore et pour toujours des rêves.

Francis jeta son journal et s'approcha de sa mère. La ressemblance était frappante. Les traits, le cheveu, tout était semblable en eux. Elle disait parfois qu'il avait quelque chose de son père, mais il ne pouvait le vérifier, car il ne l'avait jamais connu. Il était parti quinze ans plus tôt, abandonnant Anne et son enfant dans ce deux-pièces miteux. La pratique du plus vieux métier du monde lui avait permis de subsister jusqu'à ce jour. Une fois, elle était encore tombée enceinte par accident, et une sage-femme du quartier, aux mains crasseuses et à l'haleine empuantie par l'alcool avait pratiqué l'avortement sur la table de la cuisine. Elle s'était fait payer avec trois boites de fayots et une bouteille de gnole. trois semaines plus tard, Anne reprenait son travail qui, elle l'espérait encore, lui ferait gravir les marches du paradis doré du fric. Un paradis inaccessible. Anne était une pute. Francis était un fils de pute.

    -Quelle heure il est ? Demanda Francis.
Anne regarda sa montre, tira ue bouffée sur sa cigarette.
    - Huit heures moins dix, répondit-elle dans un souffle rauque.
Il prit son blouson et l'enfila en silence. A la télé, la météo commençait juste.
    - Tu vas où ? Demanda Anne machinalement, même si elle connaissait déjà la réponse.
    - Vois les potes.
    - Ne rentre pas tard.
    - Je verrais...
Il sortit en prenant bien soin de fermer la porte. Sur le palier, un homme l'interpella.
    - Dis petit, c'est la première fois que je viens. Elle prend combien ?
Francis ne répondit pas, son regard incendiaire fixé sur l'homme. Il en avait trop vu des types comme ça. Troublé par le mutisme du gamin, l'homme se racla la gorge et ajouta :
    - J'espère qu'elle suce au moins...
Ce fut comme si la foudre le frappait en plein coeur.
    - Batard ! S'écria t'il.
Il lui envoya son poing droit en plein dans le nez. L'homme recula en titubant, du sang barbouillant sa bouche et son menton. Pour faire bonne mesure, le Clou lui balança un bon coup de pied dans les testicules. L'homme tomba à genoux en poussant des cris inarticulés, puis s'écroula à terre en gémissant de douleur.
Alertée par le vacarme, Anne ouvrit la porte et sursauta en voyant l'homme par terre.
    - Francis ! Qu'est ce que tu as fait ? T'es fou !
    - Si je revois un de ces types içi, je le tue.
    - C'est ces types qui nous font vivre ! Tu crois que ça me plait de donner mon cul ?
    - T'es qu'une salope...
Sans autre commentaire, il descendit les trois étages dans le noir, la seule ampoule en état de marche étant sur le palier du quatrième. En bas, un ivrogne encore plus imbibé que le paillasson sur lequel il était assis chantonnait, ne s'interrompant que pour biberonner à une bouteille de piquette salement entamée.
    - Hé petit, tu veux boire un coup ?
    - Ta gueule.

à suivre

11 mars 2006

suite et fin

Ayant l'impression de bouger dans du coton, il tentait en vain d'éclaircir ses idées. Elle se tenait droite devant lui, et dans sa main protégeait une bougie à la flamme dansante, et il lui sembla que la faible lumière ne venait pas de la bougie, mais d'elle, de cette jeune fée des forêts, cette elfine des orages. Dans l'autre main, elle tenait un antique fusil de chasse usé et patiné par les ans. Elle le lui tendit. Il plongea dans ses yeux clairs sans fond, ensorcelants, pour essayer d'en lire le message, et en fut incapable.
    - Ce fusil appartenait à mon grand-père, dit-elle. Prends-le, examine-le.
Il se fichait éperdument du fusil, mais toute sa volonté était annihilée. Avec des gestes lointains qui n'étaient plus les siens, il prit le fusil, l'étudia, le regarda. Le goût du vin était toujours dans sa bouche, ce nectar qui avait fait chavirer sa raison. La voix hypnotique de la jeune femme flottait vers lui, l'engageant à caresser encore l'arme. Il regarda tout au fond de la gueule enténébrée du canon, ses doigts découvrirent la détente.

KA-BLAM

Assourdissant, aveuglant, un trait de feu siffla vers elle et la frôla
( la traversa )
de quelques millimètres. Il sursauta avec un cri et jeta le fusil. Le soulagement de voir qu'elle n'avait rien l'étrangla presque.
    - Mon dieu, pardon... je...
    - Ce n'est rien, dit-elle d'une voix qui ne tremblait même pas.
Il la prit dans ses bras, inspira le parfum de ses cheveux.
    - S'il t'était arrivé quelque chose...
Plus que jamais, il comprenait à quel point elle comptait pour lui, à en devenir fou. Il devait le lui dire, lui dire les trois mots, maintenant ! Mais juste comme il ouvrait la bouche, le carillon de l'horloge l'interrompit.
    - Il est onze heures trente, fit-elle. Presque minuit.
    - Déjà... je vais devoir partir, mais demain...
Elle le sera avec une force insoupçonnée.
    - Non, après minuit, il sera trop tard. Il ne faut pas que tu partes.
Blottie contre lui, elle le rendait fou de désir. Dans ses prunelles smaragdines palpitait une supplique silencieuse qui le fit trembler d'une peur indéfinnisable.
    - Tu m'aimes, dit-elle. Je le sais.
    - Oui, je t'aime. Je t'aime, je t'aime, je t'aime. Depuis le premier jour je cherchais la force de te le dire. Je t'aime et je veux rester avec toi.
    - Tu dis m'aimer et vouloir rester. Mais essaie de comprendre, tu ne peux pas venir comme tu es.
Il fronça les sourcils.
    - Comme je suis ? Venir où ? Que veux-tu dire ?
Cette fois, elle n'eut pas besoin de parler. Il regarda dans se yeux et tout au fond de son esprit embrumé, la lumière jaillit.
    - Seigneur, murmura t'il plein d'effroi. Tout ces accidents à chaque fois que je venais !
Il se libéra de son étreinte, recula de trois pas.
    - Tu voulais ma mort ! Tu voulais me tuer ! Mais toi aussi tu m'aimes ! Alors pourquoi ?
Tout ces accidents, à chacune de ses visites. L'escalier aux marches carbonisées qui s'était éffondré sous ses pas. L'interrupteur mal isolé qui l'avait presque électrocuté. Le grand lustre du salon qui s'était décroché du plafond et écrasé à dix centimètres de lu. Et aujourd'hui, le fusil qu'elle voulait qu'il regarde, et le vin, sans doute empoisonné.
    - Oui, je t'aime, mais la mort est l'unique moyen que nous avons de rester ensemble. Je t'aime, reste avec moi, je t'en supplie. Après minuit, ce soir, je serais condamnée à érrer éternellement seule.
Il continua à reculer, térrifié.
    - Tu... tu as dit que personne n'avait été épargné par l'incendie ! C'est pour ça que le coup de fusil ne t'a rien fait ! Parce que tu es morte ! Tu es un fantôme !
    - Ne pars pas, implorait-elle. je t'en conjure, je t'aime si fort, il ne me reste que ton amour !

Il s'arracha à son étreinte en hurlant et sortit de la maison aussi vite qu'il pouvait courir. La pluie eut tôt fait de transpercer ses vêtements. trébuchant, glissant et s'enfonçant dans le boue, il s'enfuit hors de la forêt, éclairs et tonnerre déchainant leur fureur autour de lui, comme s'ils voulaient le retenir içi. La voix de la jeune femme morte lui parvenait encore sur les ailes du vent, chuchotant qu'elle attendrait, l'éternité s'il le fallait.

Transi, il réussit à revenir à sa voiture tandis que les bourrasques de vent lui jetaient des eaux d'eau en pleine figure. Il démarra en trombe dans la tempête, et dans tout les virages qu'il prenait trop vite, la voiture dérapait, s'approchait dangereusement de bord de la route, du bord du ravin.

Elle était morte, une âme en peine, et s'il voulait rester, il devait mourir aussi.
( jamais je n'oublierais la nuit de l'incendie )
Il savait maintenant pourquoi une si belle femme vivait seule dans cette maison délabrée.
( pourquoi m'avoir appellée mon amour )
Il essayait de la chasser de son esprit, mais en fait, il ne pouvait que ressentir le besoin de l'avoir près de lui, de la serrer, de la respirer, un besoin
( tu m'aimes je le sais )
si puissant que même la sensation de peur et d'horreur était dépassée, oubliée.
Il avait trop besoin d'elle. Il l'aimait
( je t'aime si fort )
si fort.
( je le sais )
( si fort )
Il l'entendait toujours dans sa tête.
( reste avec )
( avec moi si fort )
( je t'aime si fort )
( supplie... si fort )
( ne pars pas )
Il la voyait partout, toujours, si réelle qu'il pourrait presque la toucher.
( je t'aime si fort )
    - Arrête... arrête... laisse-moi, va t'en !
Mais elle restait, déesse errante, gracieuse, dansante, si belle, si désirable. Pluie et larmes se mélaient sur ses joues tandis qu'il sentait son parfum tout proche de fougère et de cannelle, la caresse de ses cheveux dans son cou.
( je t'aime si fort )
Il devait être avec elle, l'inverse était inimaginable. Il n'avait pas les mots pour dire, pour crier, hurler ce qu'il ressentait.
( tu m'aimes je le sais )
Elle était là, sur le siège du passager, lui souriant. Sur le coté de la route, dansante sous la pluie. Penchée sur lui, mélant ses cheveux aux siens, touchant ses larmes de ses lèvres.
Il ne pouvait plus s'en passer.
( ne pars pas je t'en conjure )
( il ne me reste que ton amour )
Il devait partir, s'en aller.

S'en aller vers elle...

Alors il ferma les yeux, enfonça l'accélérateur et lâcha le volant, s'en remettant aux dieux et au destin.
    - Il n'est pas encore minuit. Je reviens vers toi mon amour.
La voiture fila droit dans le virage, défonça la glissière de sécurité avec un bruit de bombe et décrivit une large parabole vers le fond du ravin.

La pluie tombe en claquant sur les feuilles et coule sur toi, mais tu ne la sens pas. Tu marches vers la vieille maison le long du sentier boueux, mais la boue ne te souille pas, tandis que le tonnerre roule comme un tambour annonçant ton retour. la musique céleste des étoiles te des galaxies résonne dans l'air.
    - C'est toi ?
Elle est là, sur la pas de la porte. Elle t'attends, des diamants tout autour d'elle.
    - Tu es revenu, pour moi...
Elle sourit, et elle pleure, émue du sacrifice que tu as fait pour elle.
( il ne me reste plus que ton amour )
Alors tu la prends contre toi et tu l'embrasses sous l'éclatante flamboyance d'une infinité d'éclairs proclamant votre union, dans cette musique divine venant d'un flot d'étoiles argentées.

11 mars 2006

La femme de sa mort

LA FEMME DE SA MORT

L'orage allait certainement éclater. Déjà, de gros cumulus noirs et torturés, chargés de pluie, montaient à l'assaut du ciel, en lâchant de temps en temps des grondements sourds. En montagne, les orages étaient réputés pour leur puissance, et en contrebas, dans la ville, les gens se dépéchaient de rentrer chez eux, surveillant en permanence d'un oeil inquiet le ciel qui devint rapidement comme une voûte de métal liquide gris. Abandonnées, les balançoires du parc pendaient, mortes, n'ayant plus aucune ombre dans cette étrange lumière jaunâtre comme il y en a parfois avant les tempêtes. Les arbres étaient auréolés de lumières scintillantes, et quiconque aurait regardé en l'air aurait remarqué que le moindre détail de toute chose se révélait avec une précision chirurgicale. la chaleur était lourde et moite. Mouches, moustiques et guêpes étaient d'une humeur exécrable, agressant à coup de dard celui qui avait le malheur de croiser leur chemin.

Une voiture d'un blanc défraichi roulait au pas le long de la route longeant une forêt ancienne comme le monde. Lorsqu'elle se gara enfin, un jeune homme d'environ trente ans s'en extirpa, brisé par les heures de conduite qu'il avait accumulé depuis l'aube. Laissant le vent s'engouffrer avec délice dans sa chemise entrouverte, il s'engagea immédiatement sur un sentier forestier d'une marche impatiente, et le quitta plus loin pour s'enfoncer sous les frondaisons, suivre un chemin sinueux que lui seul connaissait. Sous les chênes, les ormes et les sapins, il faisait bien plus lourd qu'en plaine, et il souhaita que ce satané orage éclate rapidement pour noyer cette canicule.

Mais à vrai dire, peu lui importait, car il avait l'esprit à tout autre chose, et il était enfin arrivé devant la vieille maison. Cela faisait longtemps qu'il n'était pas revenu.

C'était une vieille demeure somptueuse, de hauts murs blancs recouverts par le lierre, des colonnes de marbre à l'entrée, mais le toit était défoncé, des traces de suie diluée par le temps autour des fenêtres brisées trahissaient encore la violence de l'incendie qui avait ravagé cette maison.

Il traversa, lentement l'océan d'herbes folles qui avait été autrefois un jardin en les caressant du plat de la main. L'air était chargé d'une délicate odeur de chèvrefeuille et de jasmin. Il ouvrit la porte noyée sous les fleurs de glycine, et lorsque ses yeux furent habitués à la pénombre, il observa une fois de plus avec tristesse ce grand hall aux murs noirçis, aux meubles carbonisés. Un mélange de cendres et de feuilles d'automne tapissaient le sol. Il pénétra dans la fraîcheur du salon. dans les colonnes de lumière passant dans les trous du toit dansaient des papillons, des oiseaux chantaient dans leurs nids cachés dans les murs creux. Un écureuil solitaire, dérangé dans ses affaires, s'esquiva d'un coin de la pièce.

Il respira profondément et sourit. La maison était ravagée, mais il s'y sentait bien, serein, en paix, comme dans un havre où même le temps ne pouvait plus avoir prise sur lui.
    - Mon aimé... fit une douce voix derrière lui.

Il se retourna. Elle était là, si belle, si parfaite. Celle qu'il aimait plus que tout, sa complémentarité, son âme-soeur. Il aimait tout en elle, ses qualités et ses défauts, sa peau, ses cheveux, ses mains et ses yeux, ses yeux, ses yeux dont l'éclat l'émouvait à chaque fois. Deux opalescences brillantes qui capturaient les étoiles. Un intense mélange de bonheur et de désir le submergea.

Elle, seigneur... Elle. Elle était sa force, la raison de ses sacrifices. Elle était ce qui le faisait lever avec la joie de vivre le matin et ce qui le faisait réver la nuit. Elle était ce pourquoi il pleurait parfois tant leur éloignement lui pesait. Être amoureux, c'était se rendre compte que tout ce qu'il vous manque, c'est l'autre qui peut vous l'apporter, et que vous mourrez si l'union ne se réalise pas.
    - Mon aimé, tu es revenu, enfin...
Il s'approcha, lui prit les mains.
    - Oui, dit-il. J'ai tant pensé à toi...
Elle ne le quittait plus du regard. Ces yeux... Il était hypnotisé et elle semait la confusion en lui, il ne savait plus ce qu'il faisait. Pour le moment, le bonheur d'être avec elle comptait plus que tout.
    -Je... commença t'il.
    - Ne parle pas, c'est inutile. Viens.
Elle le fit asseoir dans un canapé roussi par les flammes, devant une table basse chargée d'un panier de fruits et d'une carafe de vin. Elle lui en tendit un verre, et il se révéla doux et léger, comme sa voix et ses gestes gracieux.
    - Sers-toi comme bon te semble.
Mais comme elle restait debout, il lui demanda :
    - Et toi, tu ne bois pas ?
    - Non...
Elle se tut, mystérieuse. Comme elle était belle... Il se dit que ça ne pouvait plus durer ainsi. Il devait lui avouer tout ce qu'il ressentait, ne plus le laisser deviner.
    - Écoute, il faut que je te dise...
    - Tu es venu entendre l'histoire de la maison ? Coupa t'elle.
    - Non, je...
    - Alors je vais te la raconter, fit-elle sans lui préter attention.

Il n'insista pas et écouta son histoire, l'histoire de sa demeure. Il buvait ses paroles, ne la quittait pas des yeux de crainte de perdre un fragment de sa beauté surnaturelle. Sans doute avait-il abusé du vin, car il ne pouvait plus se concentrer, à moins qu'il ne fut en train de réver, et cela lui fit peur, car au réveil, elle ne serait plus là. Sa voix lui parvenait comme au travers d'un voile.
    - Je ne peux pas oublier la nuit de l'incendie, disait-elle. C'était il y a dix ans. Il y avait la fumée, les flammes partout...
Malgré son état brouillé, il voyait combien elle était troublée quand elle parlait de ce drame. Son coeur bondit vers elle, plein de compassion.
    - Toute ma famille fut décimée en cette horrible nuit. Personne n'en a réchappé. Personne.
    - Je comprends ce que tu ressens, mon amour.
Elle se dressa d'un bond, génée.
    - Pourquoi avoir dit cela ? Pourquoi m'avoir appellée mon amour ?
Le verre qu'il tenait dans ses doigts gourds lui échappa, éclata au sol en fragments étincellants. Il se leva sur des jambes tremblantes.
    - Parce que c'est ton nom, dit-il. Parce que je t'...

Un puissant coup de tonnerre fit trembler la maison et couvrit ses paroles. Il maudit les éléments qui l'empéchaient de déclarer la fureur dévorante de son amour. De monstrueux nuages noirs occultèrent les cieux et il fit aussitôt noir comme en pleine nuit dans la maison. La foudre claqua, et la pluie se mit à tomber drue et froide sur la forêt, battant les feuilles, noyant les fleurs, glaciale.

à suivre...

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Le livre en noir
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