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Le livre en noir
13 mars 2006

Raté... suite

Dehors, la pluie avait fait place à un mélange mi-bruine mi-crachin, qui se déposait sur les vêtements et laissait, lorsque l'on y passait le doigt, une trainée sombre, vraiment mouillée. Le Clou remonta son col et posa, à l'envers sur son crâne rasé, une casquette élimée d'une de ces équipes de basket-ball américaines dont les joueurs sont idolatrés.
marchant sans précautions pour éviter les flaques et tapant par moment dans une canette vide, il remonta la ruelle pour regagner l'avenue qu'il appelait le "Grand Paradis". Le seul endroit du quartier où le trafic était permanent, où les poubelles étaient ramassées et non pas brulées, où il y avait des boutiques.
Semblables à des diamants ambrés dans la nuit, elles brillaient et attiraient les gens pauvres comme des insectes. Dehors, il faisait froid et humide, dedans chaud et sec. Dehors c'était gris et triste, dedans lumineux et beau. Francis ne se souvenait plus le nombre de fois où, gamin, il avait passé des heures collé aux vitrines, le nez enchifrené et les doigts engourdis, regardant avec de grands yeux toutes ces choses à l'intérieur, si brillantes, comme un sapin de noël, comme un petit chiot, ou une flamme au coeur d'un bloc de glace, qui vous réchauffe le coeur et vous tire pour quelques instants de la zone et de sa tristesse. A l'époque, Francis pensait que c'était ça le paradis. Mais aujourd'hui, il savait que le paradis n'existait que pour ceux qui se défonçaient à l'héro, comme l'Oeuf ou la Piquouse, deux de ses potes. Arrivé au bout de l'avenue, il s'éloigna du centre, en prenant par une ruelle crasseuse débouchant dans une cour au sol défoncé, au milieu de laquelle une vieille voiture pourrissait lentement.
Un sifflement résonna. Le Clou se retourna, vit sa bande assise sur des caisses sous un abri branlant de tôles ondulées. Il y avait l'Oeuf, le teint cireux et les yeux gonflés, crâne chauve et luisant parcouru de frissons spasmodiques. A coté, Grand Joe, bâti en tueur, avec de longs cheveux qui tombaient en mèches graisseuses sur ses épaules, et enfin la Trique, célèbre pour ses aventures sexuelles ratées avant même d'avoir commencé. Les mains furent sérrées, les saluts échangés.
    - Où est la Piquouse ? Demanda le Clou en s'asseyant sur une caisse moisie.
Grand Joe tira une latte sur son joint mal roulé. Dans l'obscurité, le bout rouge brillait comme l'oeil d'un serpent.
    - Les poulets l'ont pécho ce matin. Il est en taule.
    - Il était shooté ?
    - Pas encore, mais avec un demi-kilo de teush sur lui...
    - Merde...
    - Tant pis pour sa gueule, dit la Trique. On lui avait dit pas de came avant un coup.
    - Avant un coup, répéta l'Oeuf en frissonnant.
    - Un coup ? Fit le Clou. Quel coup ?
    - C'est pour qu'on t'en parle que je t'ai fait venir, dit Grand Joe. On a prévu un casse dans la boutique du vieux Ollier.
    - La librairie ?
    - Pour moi, une boutique, c'est une boutique. Surtout que dans celle-là, on sait où le vieux cache sa maille.
Francis revit le vieux Ollier, avec sa démarche claudicante et ses petites lunettes, au milieu de ses livres poussiéreux.
    - Tu crois qu'il en a du pognon ?
    - Bien sûr, pauvre con. Tu marches avec nous ?
Le Clou serra son blouson plus étroitement. Il avait froid, subitement.
    - J'suis pas sûr. Je le sens pas bien...
Grand Joe se pencha en avant. Le bois de la caisse craqua et grinça sous l'énorme masse de muscles en mouvement. Il regarda Francis droit dans les yeux, intensément.
    - On te demande pas de sentir, on te demande si tu marches avec nous ou pas. Si oui, tant mieux. Si non, t'as du souci à te faire.
    - Ouais, ajouta la Trique. T'es avec ou contre nous ?
    - Contre nous... répéta l'Oeuf, les yeux rouges comme un steak cru.
Le Clou observa le demi cercle de regards qui le jugeait. Des regards méfiants.
    - C'est bon, je marche.
Grand Joe se détendit.

à suivre

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