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Le livre en noir
12 mars 2006

Raté...

RATE...

La pluie d'octobre, froide et grise comme le ciel, se laissait mollement tomber sur la ville, silencieuse, sombre. Les rares passants semblaient comme morts, leurs vêtements comme décolorés. Les lumières s'allumaient une par une, se reflétant sur la macadam aussi luisant que le ventre d'un poisson. les voitures passaient en chassant sous leurs pneus des gerbes d'eau. Le soleil, occulté par une lourde brume, s'approchait de l'horizon. Là, le ciel nuageux ressemblait à une couverture de laine sale froissée, échevelée. Des trainées de vapeur silencieuse s'échappaient des bouches d'égouts où toute la crasse de la rue disparaissait, emportée par le torrent triste des larmes du ciel. Un rat crevé flottait dans une flaque, un chien pelé fouillait dans une poubelle renversée. Sur le mur de l'un des innombrables immeubles du quartier, quelqu'un avait gribouillée : " je me suis envoyé Marie, Lucie, Gilberte et Cathy." Au-dessous, quelqu'un d'autre avait écrit : " frimeur."

Les yeux mi-clos, Francis, que tout ses potes appellaient Le Clou, s'éfforçait de lire le journal à la faible clarté filtrant au travers de la fenêtre sale. Un carreau était cassé, on l'avait sommairement réparé avec du scotch.

Il avait seize ans, avait quitté l'école depuis deux mois, et passait son temps depuis en s'acoquinant avec les voyous du quartier. D'une maigreur extrème qui expliquait son surnom, il avait toujours l'air malade, mais il ne fallait pas s'y fier. Il était vif et nerveux, aussi prompt à encaisser les coups qu'à les donner.

A la télé, les infos avaient cédé la place aux spots publicitaires, si criards qu'ils en étaient agressifs. Anne, sa mère, regardait d'un oeil éteint cette avalanche d'images en songeant que ces illusions de rêves seraient encore et pour toujours des rêves.

Francis jeta son journal et s'approcha de sa mère. La ressemblance était frappante. Les traits, le cheveu, tout était semblable en eux. Elle disait parfois qu'il avait quelque chose de son père, mais il ne pouvait le vérifier, car il ne l'avait jamais connu. Il était parti quinze ans plus tôt, abandonnant Anne et son enfant dans ce deux-pièces miteux. La pratique du plus vieux métier du monde lui avait permis de subsister jusqu'à ce jour. Une fois, elle était encore tombée enceinte par accident, et une sage-femme du quartier, aux mains crasseuses et à l'haleine empuantie par l'alcool avait pratiqué l'avortement sur la table de la cuisine. Elle s'était fait payer avec trois boites de fayots et une bouteille de gnole. trois semaines plus tard, Anne reprenait son travail qui, elle l'espérait encore, lui ferait gravir les marches du paradis doré du fric. Un paradis inaccessible. Anne était une pute. Francis était un fils de pute.

    -Quelle heure il est ? Demanda Francis.
Anne regarda sa montre, tira ue bouffée sur sa cigarette.
    - Huit heures moins dix, répondit-elle dans un souffle rauque.
Il prit son blouson et l'enfila en silence. A la télé, la météo commençait juste.
    - Tu vas où ? Demanda Anne machinalement, même si elle connaissait déjà la réponse.
    - Vois les potes.
    - Ne rentre pas tard.
    - Je verrais...
Il sortit en prenant bien soin de fermer la porte. Sur le palier, un homme l'interpella.
    - Dis petit, c'est la première fois que je viens. Elle prend combien ?
Francis ne répondit pas, son regard incendiaire fixé sur l'homme. Il en avait trop vu des types comme ça. Troublé par le mutisme du gamin, l'homme se racla la gorge et ajouta :
    - J'espère qu'elle suce au moins...
Ce fut comme si la foudre le frappait en plein coeur.
    - Batard ! S'écria t'il.
Il lui envoya son poing droit en plein dans le nez. L'homme recula en titubant, du sang barbouillant sa bouche et son menton. Pour faire bonne mesure, le Clou lui balança un bon coup de pied dans les testicules. L'homme tomba à genoux en poussant des cris inarticulés, puis s'écroula à terre en gémissant de douleur.
Alertée par le vacarme, Anne ouvrit la porte et sursauta en voyant l'homme par terre.
    - Francis ! Qu'est ce que tu as fait ? T'es fou !
    - Si je revois un de ces types içi, je le tue.
    - C'est ces types qui nous font vivre ! Tu crois que ça me plait de donner mon cul ?
    - T'es qu'une salope...
Sans autre commentaire, il descendit les trois étages dans le noir, la seule ampoule en état de marche étant sur le palier du quatrième. En bas, un ivrogne encore plus imbibé que le paillasson sur lequel il était assis chantonnait, ne s'interrompant que pour biberonner à une bouteille de piquette salement entamée.
    - Hé petit, tu veux boire un coup ?
    - Ta gueule.

à suivre

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