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Le livre en noir
11 mars 2006

suite et fin

Ayant l'impression de bouger dans du coton, il tentait en vain d'éclaircir ses idées. Elle se tenait droite devant lui, et dans sa main protégeait une bougie à la flamme dansante, et il lui sembla que la faible lumière ne venait pas de la bougie, mais d'elle, de cette jeune fée des forêts, cette elfine des orages. Dans l'autre main, elle tenait un antique fusil de chasse usé et patiné par les ans. Elle le lui tendit. Il plongea dans ses yeux clairs sans fond, ensorcelants, pour essayer d'en lire le message, et en fut incapable.
    - Ce fusil appartenait à mon grand-père, dit-elle. Prends-le, examine-le.
Il se fichait éperdument du fusil, mais toute sa volonté était annihilée. Avec des gestes lointains qui n'étaient plus les siens, il prit le fusil, l'étudia, le regarda. Le goût du vin était toujours dans sa bouche, ce nectar qui avait fait chavirer sa raison. La voix hypnotique de la jeune femme flottait vers lui, l'engageant à caresser encore l'arme. Il regarda tout au fond de la gueule enténébrée du canon, ses doigts découvrirent la détente.

KA-BLAM

Assourdissant, aveuglant, un trait de feu siffla vers elle et la frôla
( la traversa )
de quelques millimètres. Il sursauta avec un cri et jeta le fusil. Le soulagement de voir qu'elle n'avait rien l'étrangla presque.
    - Mon dieu, pardon... je...
    - Ce n'est rien, dit-elle d'une voix qui ne tremblait même pas.
Il la prit dans ses bras, inspira le parfum de ses cheveux.
    - S'il t'était arrivé quelque chose...
Plus que jamais, il comprenait à quel point elle comptait pour lui, à en devenir fou. Il devait le lui dire, lui dire les trois mots, maintenant ! Mais juste comme il ouvrait la bouche, le carillon de l'horloge l'interrompit.
    - Il est onze heures trente, fit-elle. Presque minuit.
    - Déjà... je vais devoir partir, mais demain...
Elle le sera avec une force insoupçonnée.
    - Non, après minuit, il sera trop tard. Il ne faut pas que tu partes.
Blottie contre lui, elle le rendait fou de désir. Dans ses prunelles smaragdines palpitait une supplique silencieuse qui le fit trembler d'une peur indéfinnisable.
    - Tu m'aimes, dit-elle. Je le sais.
    - Oui, je t'aime. Je t'aime, je t'aime, je t'aime. Depuis le premier jour je cherchais la force de te le dire. Je t'aime et je veux rester avec toi.
    - Tu dis m'aimer et vouloir rester. Mais essaie de comprendre, tu ne peux pas venir comme tu es.
Il fronça les sourcils.
    - Comme je suis ? Venir où ? Que veux-tu dire ?
Cette fois, elle n'eut pas besoin de parler. Il regarda dans se yeux et tout au fond de son esprit embrumé, la lumière jaillit.
    - Seigneur, murmura t'il plein d'effroi. Tout ces accidents à chaque fois que je venais !
Il se libéra de son étreinte, recula de trois pas.
    - Tu voulais ma mort ! Tu voulais me tuer ! Mais toi aussi tu m'aimes ! Alors pourquoi ?
Tout ces accidents, à chacune de ses visites. L'escalier aux marches carbonisées qui s'était éffondré sous ses pas. L'interrupteur mal isolé qui l'avait presque électrocuté. Le grand lustre du salon qui s'était décroché du plafond et écrasé à dix centimètres de lu. Et aujourd'hui, le fusil qu'elle voulait qu'il regarde, et le vin, sans doute empoisonné.
    - Oui, je t'aime, mais la mort est l'unique moyen que nous avons de rester ensemble. Je t'aime, reste avec moi, je t'en supplie. Après minuit, ce soir, je serais condamnée à érrer éternellement seule.
Il continua à reculer, térrifié.
    - Tu... tu as dit que personne n'avait été épargné par l'incendie ! C'est pour ça que le coup de fusil ne t'a rien fait ! Parce que tu es morte ! Tu es un fantôme !
    - Ne pars pas, implorait-elle. je t'en conjure, je t'aime si fort, il ne me reste que ton amour !

Il s'arracha à son étreinte en hurlant et sortit de la maison aussi vite qu'il pouvait courir. La pluie eut tôt fait de transpercer ses vêtements. trébuchant, glissant et s'enfonçant dans le boue, il s'enfuit hors de la forêt, éclairs et tonnerre déchainant leur fureur autour de lui, comme s'ils voulaient le retenir içi. La voix de la jeune femme morte lui parvenait encore sur les ailes du vent, chuchotant qu'elle attendrait, l'éternité s'il le fallait.

Transi, il réussit à revenir à sa voiture tandis que les bourrasques de vent lui jetaient des eaux d'eau en pleine figure. Il démarra en trombe dans la tempête, et dans tout les virages qu'il prenait trop vite, la voiture dérapait, s'approchait dangereusement de bord de la route, du bord du ravin.

Elle était morte, une âme en peine, et s'il voulait rester, il devait mourir aussi.
( jamais je n'oublierais la nuit de l'incendie )
Il savait maintenant pourquoi une si belle femme vivait seule dans cette maison délabrée.
( pourquoi m'avoir appellée mon amour )
Il essayait de la chasser de son esprit, mais en fait, il ne pouvait que ressentir le besoin de l'avoir près de lui, de la serrer, de la respirer, un besoin
( tu m'aimes je le sais )
si puissant que même la sensation de peur et d'horreur était dépassée, oubliée.
Il avait trop besoin d'elle. Il l'aimait
( je t'aime si fort )
si fort.
( je le sais )
( si fort )
Il l'entendait toujours dans sa tête.
( reste avec )
( avec moi si fort )
( je t'aime si fort )
( supplie... si fort )
( ne pars pas )
Il la voyait partout, toujours, si réelle qu'il pourrait presque la toucher.
( je t'aime si fort )
    - Arrête... arrête... laisse-moi, va t'en !
Mais elle restait, déesse errante, gracieuse, dansante, si belle, si désirable. Pluie et larmes se mélaient sur ses joues tandis qu'il sentait son parfum tout proche de fougère et de cannelle, la caresse de ses cheveux dans son cou.
( je t'aime si fort )
Il devait être avec elle, l'inverse était inimaginable. Il n'avait pas les mots pour dire, pour crier, hurler ce qu'il ressentait.
( tu m'aimes je le sais )
Elle était là, sur le siège du passager, lui souriant. Sur le coté de la route, dansante sous la pluie. Penchée sur lui, mélant ses cheveux aux siens, touchant ses larmes de ses lèvres.
Il ne pouvait plus s'en passer.
( ne pars pas je t'en conjure )
( il ne me reste que ton amour )
Il devait partir, s'en aller.

S'en aller vers elle...

Alors il ferma les yeux, enfonça l'accélérateur et lâcha le volant, s'en remettant aux dieux et au destin.
    - Il n'est pas encore minuit. Je reviens vers toi mon amour.
La voiture fila droit dans le virage, défonça la glissière de sécurité avec un bruit de bombe et décrivit une large parabole vers le fond du ravin.

La pluie tombe en claquant sur les feuilles et coule sur toi, mais tu ne la sens pas. Tu marches vers la vieille maison le long du sentier boueux, mais la boue ne te souille pas, tandis que le tonnerre roule comme un tambour annonçant ton retour. la musique céleste des étoiles te des galaxies résonne dans l'air.
    - C'est toi ?
Elle est là, sur la pas de la porte. Elle t'attends, des diamants tout autour d'elle.
    - Tu es revenu, pour moi...
Elle sourit, et elle pleure, émue du sacrifice que tu as fait pour elle.
( il ne me reste plus que ton amour )
Alors tu la prends contre toi et tu l'embrasses sous l'éclatante flamboyance d'une infinité d'éclairs proclamant votre union, dans cette musique divine venant d'un flot d'étoiles argentées.

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