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Le livre en noir
16 mars 2006

Raté... suite et fin

Il faisait nuit noire maintenant. Les nuages cachaient la lune et les étoiles. Les seules étoiles sont içi, pensa Francis, dans la lumière des boutiques.
Il n'y avait plus grand monde sur le trottoir. Des grilles de fer protégeaient la plupart des vitrines. dedans, tout était éteint, plus rien ne brillait. Un bus passa en vrombissant et en empuantissant l'air de monoxyde de carbone. Ça faisait tourner la tête le monoxyde. Comme la came.
On lui avait dit pas de came avant un coup
Les mains dans les poches, il remontait le trottoir. Il sentait le poids du pistolet dans sa poche, semblant devenir de plus en plus lourd. Avait-il mis le cran de sureté ? Oui. Ce serait bête que le coup parte tout seul et qu'il se mette la balle dans le pied. Il arriva au niveau de la librairie. Des livres, dont peu de nouveautés, trônaient dans la vitrine sale. La porte de verre était fermée, il le savait. Monsieur Ollier fermait toujours à vingt heures pile. Après, il faisait ses comptes jusqu'à tard dans la nuit.
On sait où le vieux cache son pognon
Quand il avait cinq ans, sa mère l'avait amené içi. Elle lui avait acheté un livre d'images plein de lapins. Monsieur Ollier s'était penché sur lui pour lui ébouriffer amicalement les cheveux. Tu reviendras me voir ? Avait-il demandé. francis avait souri à ce gentil monsieur. Le seul et unique homme au monde à avoir jamais été gentil avec lui. Il s'était dit que oui, bien sûr, il reviendrait.
ça se fera ce soir, à vingt-deux heures
Il n'y était jamais revenu, finalement. Ses potes se foutaient de sa gueule quand il avait un livre dans les mains. A l'intérieur, il pouvait maintenant voir monsieur Ollier, semblant aussi vieux que Merlin l'enchanteur, penché sur le bureau qui lui servait aussi de comptoir, inscrivant méticuleusement sur son registre les ventes de la journée, chaque jour plus maigres.
Ce fric, on en fera quoi ?
J'sais pas, on prendra notre pied
Francis sentit sa gorge se serrer, ses yeux se mouiller.
    - Papa ? Murmura t'il.
T'es avec ou contre nous
Faites pas les cons, ils sont chargés
Du fin fond de son âme, il entendit une berceuse venant d'une des boites à musique que monsieur Ollier collectionnait sur une étagère, derrière le bureau.
Tu reviendras me voir ?
J'vais me géner, tiens !
Ka-blam ! La tête d'un lapin qui explose.
Ka-blam ! Une boite à musique qui rend sa dernière note.
Ka-blam ! Monsieur Ollier qui tombe sur son registre taché de sang.
J'VAIS ME GÊNER TIENS ! J'VAIS LE FLINGUER ET J'VAIS PRENDRE MON PIED ! OUAAIIS ! YAHOUUU !!! J'VAIS ME GÊNER TIENS !!!
Le pluie ruisselait sur son visage, refroidissant des larmes brûlantes. Monsieur Ollier releva la tête de son registre, le regarda un instant, et par-delà toutes ces années, le reconnut. Il leva la main et le salua en souriant.
    - NOOON ! Hurla Francis. NON ! NON ! NOOOOOOOONNN !!!
Il s'enfuit en courant. Ses chaussures imprimaient des traces de semelles sur le trottoir détrempé.
Il pleurait. Il avait froid.

Il était vingt-deux heures. Le ciel s'était un peu dégagé et les étoiles se laissaient un peu apercevoir par les déchirures des nuages. L'Oeuf se tenait accroupi près du poste de transformation au bout de la rue. D'une grosse pince coupante, il trancha tout les câbles, qui claquèrent les uns après les autres avec des gerbes d'étincelles. Aussitôt, la rue fut plongée dans les ténèbres. L'Oeuf trouva cela si drôle dans son esprit embrumé de junkie qu'il éclata de rire en se roulant par terre. Il heurta dans sa galipette une paire de jambes.
    - Que ? Fit-il en regardant à qui elles appartenaient. C'est toi le Clou ?
    - Ouais, c'est moi.
KA-BLAM
l'Oeuf retomba par terre, un trou rouge au milieu du front.

La Trique se tenait à l'entrée de la librairie, tapant du pied pour se réchauffer. Grand Joe était déjà dedans, tenant Ollier sous la menace de son arme. Il vit une silhouette venir vers lui.
    - Le Clou ?
    - Ouais.
    - Qu'est ce que tu branlais ? T'es à la bourre !
    - Je sais.
KA-BLAM
La balle entra proprement au niveau du plexus solaire de la Trique qui fut projeté sur la vitrine, contre laquelle il rebondit avant d'aller rouler sur le trottoir.

    - Magne-toi d'ouvrir ! Hurla Grand Joe, debout à coté du vieillard accroupi près d'un petit coffre encastré dans le mur.
    - Ne... ne tirez pas s'il vous plaît, murmura Ollier en faisant la combinaison avec des doigts tremblants.
    - T'as dix secondes, pigé ?
Il jeta un coup d'oeil inquiet vers la vitrine. Quelque chose ne tournait pas rond. Le Clou qui n'était pas venu, puis un coup de feu... Et la Trique ne montait plus la garde.
    - Bouge-toi le vieux !
Pour donner plus de poids à ses paroles, il appuya le canon de son revolver derrière l'oreille d'Ollier qui ferma les yeux te trembla à ce contact. Puis le carillon de la porte tinta. Grand Joe vit quelqu'un venir vers lui dans la pénombre. Il n'eut aucun mal à reconnaître la frêle silhouette de Francis.
    - Le Clou ! Putain, qu'est ce que tu fous là ?
Au loin, il entendit les sirènes des voitures de police, et il se douta que c'était peut-être Francis qui les avait appellés.
    - Ce que je fous là ? Dit le Clou. Je viens prendre mon pied.
Il lève son arme. Grand Joe frémit.
    - Tu vas pas tirer sur moi ?
    - J'vais me géner, tiens...
Déjà, les phalanges de son index blanchissent. Grand Joe, plus rapide et vif qu'un serpent en chasse, se jette à terre. Francis rectifie aussitôt sa visée et tire trois fois de suite, et il appuie encore sur la détente alors que la barillet est vide. Avec le regard d'un fou, il crie des menaces retentissantes. Grand Joe vise Francis. Dehors, deux voitures de police se garent en couinant et leurs gyrophares bleus balaient la pièce.
Francis se rue sur Grand Joe pour le désarmer. Deux coups résonnent. La première balle se fraie un chemin pour aller se ficher dans le coeur de Francis. La seconde l'atteint à l'épaule droite et le fait tourner sur lui-même comme une toupie démente, et il s'écroule à l'instant où les policiers investissent la pièce, trop tard...
Monsieur Ollier est sauf.
Jamais plus Francis ne reviendra le voir, lui, le père qu'il n'a jamais eu.
Grand Joe n'est pas mort, et jamais Francis ne se vengera. Grand Joe qui a ruiné sa vie après avoir damné son âme.
Francis est seul, très seul... et il ferme les yeux.

NdA : J'ai écrit cette nouvelle à dix-sept ans, et j'ai eu l'honneur de la voir finaliste à un concours organisé par l'AMOPA, Association des Membres de l'Ordre de la Palme Académique

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